Fabrice Martinez : l'interview ...
Fabrice, c'était pratiquement la première fois que tu venais présenter ta musique à Charleville-Mézières depuis que tu t'es installé à Paris. Peux-tu résumer ton cheminement professionnel pendant ces années?
Je suis parti vivre à Paris en 1992. Là, avec deux amis, nous avons créé « Qui sème le vent », un Marching Band jazz funk dans le style des « Dirty Dozen ». Aujourd’hui, le saxophoniste joue avec Lenny Kravitz et le tromboniste travaille dans la production musicale. Le 18 octobre, on fera notre retour sur la scène du Zénith à Paris, pour les 70 ans de Jacques Higelin.
Après Qui Sème le Vent (QSV), je suis parti 6 ans en tournée internationale avec Sergent Garcia, une magnifique expérience des grandes scènes.
Ensuite, je suis revenu davantage à l’improvisation sur scène avec Tony Allen notamment et Le Sacre du Tympan dont je fais parti depuis la création en 1998 (Un nouvel album sort début 2011).
Aujourd’hui, j’ai trouvé un certain équilibre avec d’une part les grandes scènes internationales avec Alpha Blondie et la musique improvisée dans « Chut les chiens ! », le Mégo octet d’Andy Emler, le groupe Z ou encore l’ensemble Nord Sud.
"Chut Les Chiens " est un projet dont tu es à l'initiative. La musique est difficile à définir, aux confins de plusieurs genres. Peux-tu essayer d'expliquer ta démarche?
Je n’ai pas de concept. J’écris ce qui me vient, nourri bien entendu par mon parcours et mon expérience. Je ne veux pas me donner de limites dans ce groupe. Etre avec des gens que j’aime et prendre du plaisir : c’est tout ce qui m’intéresse.
On retrouve dans "Chut les Chiens" Fred Escoffier, et très souvent en invité Stéphane Bartelt, tous deux originaires de Charleville et compagnons de longue date. Pourquoi ce choix?
Nous sommes liés à jamais par notre parcours de 1985 à 1990. On a connu nos premières scènes ensembles et on défendait déjà notre musique (Fred partage avec moi les compositions de Chut). Stéphane Bartelt comme Fred Escoffier ont leur propre style et ils sont uniques. C’est cela aussi, au-delà des affects, qui me séduit aujourd’hui encore.
Eric Echampard est relativement nouveau dans la formation. Qu'a-t-il apporté au groupe?
J’aime beaucoup la batterie et je suis devenu très difficile au fil du temps quant à la qualité de ce poste. Je connaissais le talent d’Eric, mais il y a un an, lors de notre rencontre avec Andy Emler, j’ai craqué totalement sur le jeu de ce garçon. Il est solide, inventif et toujours concentré au maximum dans la musique. C’est un bonheur pour moi de l’avoir, d’autant qu’il est très demandé sur la scène européenne.
Islam Zian Alabdeen associe souvent sa performance "picturale" aux concerts de "Chut les Chiens". Comment est née cette rencontre et pourquoi cette volonté d'associer musique et peinture?
Islam est un ami de longue date : on se connaît depuis 20 ans. Je l’ai vu arriver en France quand il fuyait son pays. Pour autant, je ne mélange pas tout : c’est un ami mais c’est aussi un formidable peintre et il est très productif. Faire une toile intéressante en une heure est une compétence rare ! La transversalité des arts m’intéresse et je trouve qu’en ce qui nous concerne, elle permet à notre musique imagée de donner à l’auditoire un sentiment de bien être en regardant la toile se construire.
Le concert de Charleville s'est déroulé dans des conditions acoustiques difficiles. Un des principes de la "Nuit Blanche" est de proposer des manifestations culturelles dans des lieux insolites. L'acoustique du Temple Protestant n'était guère adaptée à ce style de musique. Finalement, une fois le public en place, vous vous en êtes très bien tirés. Avez-vous modifié votre prestation pour vous adapter au lieu?
On doit toujours s’adapter de toute façon et là, ce n’était pas facile mais le monde a aidé à l’absorption de la réverb naturelle du lieu. Dans ce type de musique, il faut s’entendre parfaitement pour créer suffisamment d’interaction, et ce n’était pas toujours idéal surtout dans les tempi rapides ; mais on s’en est bien sortis grâce au public ardennais qui s’est déplacé en nombre !
Depuis quelques années, Charleville Action Jazz organise ( en accord avec Dominique Tassot, responsable du département Jazz et Musiques du Monde ) , des résidences de musiciens, sur des périodes de deux ans, auprès du Big-Band du CRD ( ex ENMD ). Tu prendras en 2011 la succession de Nicolas Folmer, qui a lui-même succédé à Pierre Vaiana, Jef Sicart et Sylvain Kassap. Quel effet ça te fait de retrouver dans ces conditions un Big-Band que tu as pratiquement vu naître, et quels sont les axes pédagogiques que tu as envie de développer?
Je me réjouis de retrouver le Big band où j’ai fait mes armes : au départ comme trompettiste et même ensuite, parfois, à la baguette. J’ai appris à lire mes premiers « scores d’orchestre » avec cet ensemble. Cela m’a beaucoup servi pour la suite.
Il y a quelques années, j’ai créé un Big Band à Paris, qui joue toujours mais que je ne dirige plus. J’ai aujourd’hui pas mal d’expériences pédagogiques de groupe et j’ai aussi beaucoup joué au sein de ce type d’orchestre. J’aimerais bien sûr leur transmettre mes acquis mais aussi gouter au Sound Painting, à l’improvisation et peut-être, si Fred Pallem en est d’accord, travailler un peu du répertoire du Sacre…
Quels sont tes autres activités musicales à l'heure actuelle?
Cette année je suis en résidence à Montélimar, sur un projet d’orchestre autour du Sound Painting.
Egalement en résidence à la Dynamo (Pantin) dans un projet avec Thomas de Pourquery sur la musique de Sun Ra. Ce projet devrait faire l’objet d’une résidence à Jazz sous les pommiers en 2011.
Je serai en novembre à la maison de la Radio avec Andy Emler, Elise Caron et deux orchestres pour une création d’Andy.
Plusieurs sorties de disques également : l’ensemble Nord/Sud en novembre ; le Sacre du Tympan, le groupe Z et Chut les Chiens ! en préparation. Je souhaite vraiment enregistrer cette année avec cet ensemble : j’ai commencé à écrire et vous avez même gouté à un tout nouveau morceau lors du concert.
J’ai aussi une activité d’enseignant au sein du conservatoire du 20ème arrondissement à Paris et à Clichy la Garenne, qui m’occupe grandement…
Je vais participer également cette année au projet du Collectif de Mr Florent : une bande de jeunes surdoués du classique récompensés de prix internationaux, qui font appel à Eric et à moi pour de belles rencontres aux frontières du classique et de la musique improvisée. Enfin, cela est tout neuf et pas encore totalement décidé : à suivre donc …
Bises à tous les lecteurs et j’espère pas « à dans 20 ans » !
On est sûr de se revoir régulièrement au cours de ces deux années, avec le Big-Band et pourquoi pas lors du concert de fin de résidence, proposer un double plateau avec une de tes formations après le Big-Band ?
Je serais bien entendu ravi ... Donc à très bientôt.
Propos recueillis par Patrice Boyer