DANIEL GOYONE TRIO


Auditorium E.N.M.D.
Jeudi 15 Décembre 2005


Qu' il est difficile de chroniquer un tel concert! On en ressort enchanté bien sûr, avec l'envie de prolonger encore le voyage, convaincu par la beauté des compositions, par l'extrême cohérence du propos, par la simplicité avec laquelle Daniel Goyone présente ses morceaux sur scène, avec un humour très discret, à l'image du personnage.
Mais ici, impossible de se réfugier derrière les commentaires enthousiastes concernant les performances individuelles des musiciens: la musique est très écrite, elle requiert une virtuosité et une attention sans relâche de la part de ses interprètes, et leur laisse finalement assez peu de champ libre.
A propos des compositions de Daniel Goyone, on a souvent noté le paradoxe entre une écriture très complexe, obéissant à des règles sophistiquées, et des mélodies agréables à l'oreille, qui se fredonnent facilement par les auditeurs qui, s'ils ne peuvent que constater et admirer l'originalité de la musique, n'ont pas forcément conscience de la démarche du compositeur. Celui-ci l' explicite clairement en ces termes: "Si je devais résumer en une formule mon concept de compositeur: harmoniser les rythmes et rythmer les harmonies pour susciter l'inspiration mélodique."
Il en résulte une sorte de musique de chambre, aussi proche de la musique classique du vingtième siècle que du jazz, à laquelle elle emprunte toutefois souvent son phrasé spécifique, et se différenciant de ces deux idiomes par l'utilisation fréquente de rythmes impairs, évoquant parfois les traditions balkaniques.
Le son des instruments est volontairement "globalisé": difficile parfois de distinguer le piano, le vibraphone et la flûte: on entend une mélodie émergeant d'une dentelle sonore tissée par les lames du vibraphone ou du marimba de Thierry Bonneaux, les cordes du piano de Daniel Goyone, et le souffle du flûtiste Chris Hayward.
Celui-ci nous confiait après le concert l'extrême concentration qu'exigeait l'interprétation de cette musique, les parties de chaque musicien formant les pièces d'un puzzle s'appareillant les unes aux autres, le 'groove' propre à la composition n'étant pas le fait de l'un ou l'autre des musiciens, mais naissant de l'assemblage des différentes pièces. Alors seulement le morceau prend vie et trouve sa cohérence.
Peu de place donc pour les performances individuelles, chacun étant surtout soucieux de participer à l'élaboration collective d'une musique écrite et pensée par le compositeur: Ce qui ne veut pas dire que la virtuosité soit absente: Daniel Goyone est un excellent pianiste, Thierry Bonneaux, aussi à l'aise derrière les lames que sur les peaux ( caisse claire, tom aigu et tom basse ) qu'il joue souvent, comme sur le vibraphone, avec deux mailloches à chaque main, est époustouflant de précision, et manifeste un plaisir évident, et Chris Hayward fait preuve d'un réel talent et d'une remarquable maîtrise du son aux différentes flûtes traversières, dont une flûte basse rarement usitée en jazz.
Si le répertoire faisait une large place aux morceaux tirés du dernier album "Étranges Manèges" ( CC Productions ), nous avons eu le plaisir d'entendre des nouvelles versions issues de presque tous les enregistrements précédents, dont "Bouche d'or" reprise par Claude Nougaro, et " Danse Bulgare" qui ont conclu le concert en beauté.( Une manière de se souvenir de la première visite de Daniel Goyone en 1996 à Charleville, alors accompagné par Daniel Mille à l'accordéon et Laurent Dehors aux clarinettes.)
Le public malheureusement relativement peu nombreux ( 80 spectateurs ) a réagi très chaleureusement à cette musique pourtant peu démonstrative et a obtenu deux rappels à force d'applaudissements. Comme quoi l'univers si particulier de Daniel Goyone est accueilli avec enthousiasme par qui sait laisser de côté ses préjugés et se laisser entraîner au gré des courants, sans crainte de la "Haute Mer", titre du précédent enregistrement de ce musicien trop rare sur les scènes françaises, sûrement parce que son originalité interdit de le classer dans une catégorie précise.
Patrice Boyer

photos Michel Renaux



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