Sous l'appellation "Jazz" se cachent quelques ovnis musicaux qui peuvent dérouter certains amateurs, mais aussi ravir ceux qui recherchent des sensations nouvelles. Aux confins du jazz donc ( tous les musiciens de ce Dreamseekers Quartet sont des jazzmen ), mais aussi de la musique de chambre, voir d'une certaine musique contemporaine "minimaliste" ( tendance Gavin Bryars ), la musique composée par Frédéric Norel est mélodique et contemplative. Les timbres des instruments acoustiques se mêlent en une texture sonore flottante, renforcée par les sons bizarres des claviers de Benjamin Moussay. Phrases parfois répétitives, s'étirant et se développant au gré d'une lente transformation, évoquant aussi parfois l'esprit de la musique indienne. ( Frédéric Norel participe aussi au nouveau projet de Ravi Prasad, musicien qui lui aussi aime marier les genres. )
Frédéric Norel écrit pour le théâtre et pour le cinéma, et on ne s'en étonnera pas, sa musique fortement évocatrice stimulant l'imaginaire. On imagine bien le pouvoir émotionnel qu'elle peut apporter aux images d'un film. Du reste, l'auditeur pris au charme peut aussi puiser dans son inconscient des images personnelles, et se laisser submerger par la poésie attractive de la musique.
Bien qu' assurément très écrites, les compositions laissent aussi des espaces de liberté aux interprètes, et c'est là ce qui la rattache au jazz. Mais attention, ici pas de chorus démonstratifs, les interventions des solistes développent et mettent en couleurs ( plutôt pastel ) l'univers du compositeur.
Le public ne s'y trompe pas, qui jamais ne casse le charme d'un morceau par des applaudissements, réservant ceux-ci aux plages de silence entre deux compositions. On a pu apprécier le travail particulièrement impressionnant de Benjamin Moussay qui habille cette musique de sons inouïs accentuant encore son côté onirique, le beau son, notamment à l'archet du contrebassiste Arnault Cuisinier, et Sylvain Rifflet, sorti de son Rockingchair, plus jazz à la clarinette basse, plus classique lorsqu'il mêle le son de son sax ténor ou de sa clarinette aux entrelacs du violon du leader.
Leader discret d'ailleurs, les yeux souvent fermés, un sourire permanent aux lèvres, comme perdu dans ce monde rêvé peuplé de de "Regards intérieurs", de "Présages", de "Neiges éternelles", de "Nuits après nuits" , d' "Inconscients" et de "Naissances" dont celle à venir de son premier fils qui aura bien de la chance de baigner dans une musique aussi bienfaisante.
Patrice Boyer