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Jeudi 7 Février 2019

 Auditorium Conservatoire Ardenne Métropole
CHARLEVILLE-MÉZIÈRES

STÉPHANE KERECKI "FRENCH TOUCH"

photo André Henrot

Stéphane Kerecki : contrebasse
Julien Lourau : saxophones
Fabrice Moreau : batterie
Jozef Dumoulin : piano et Fender Rhodes

Le jazz, s'étant toujours nourri des musiques populaires, a proposé des versions mémorables de standards issus de comédies musicales en vogue, et plus récemment s'est emparé d'une partie du répertoire de la pop-music et approprié nombre de musiques de films : il était logique qu'une nouvelle génération fasse de même avec la musique de son époque. Ainsi Stéphane Kerecki, après avoir revisité les musiques de films de la "Nouvelle Vague", s'attaque à la musique électro française des années 90/2000, baptisée " French Touch" par les aficionados. Force est de reconnaître que Daft Punk, Air, Phoenix, Kavinsky, Justice et M83 ne font pas partie des groupes écoutés régulièrement par les amateurs de jazz de ma génération, mais il faudrait être autiste pour ignorer certains de leurs tubes planétaires.

La problématique est la suivante : comment interpréter de manière pratiquement acoustique et ouverte des morceaux conçus pour les sons électroniques, programmés avec des logiciels et autres outils informatiques? Il fallait de l'audace pour construire tout un répertoire sur cette thématique, et Stéphane Kérecki a parfaitement relevé le défi, en révélant toute la richesse de cette musique dans un contexte jazz.

il y a bien sûr ces bribes de mélodies, initialement souvent reprises en boucles, qui prennent ici le temps de se développer, il y a ces rythmes hypnotiques, ici seulement évoqués par la contrebasse de Stéphane Kérecki, qui s'en émancipe tout en en gardant la pulsation, et la batterie de Fabrice Moreau, qui incorpore à son jeu très ouvert et mélodique de très courtes séquences extrêmement précises et ciselées, rappelant les rythmes programmés électroniquement. Il y a le Fender Rhodes d'un Jozef Dumoulin qui maîtrise avec une science rare les effets électroniques, tout aussi bien que le piano acoustique, parfois en alternance, parfois simultanément. Et il y a Julien Lourau, qui déjà à l'époque de son "Groove Gang" (que nous avions programmé en 1997), montrait son intérêt pour les musiques et les rythmes de son époque. Ici, tant au saxophone ténor que soprano, il expose les thèmes avec sensibilité, et les développe avec fougue lorsque le contexte le permet. Usant parfois des effets électroniques, il passe d'un micro à un autre pour alterner avec un superbe son purement acoustique. Si le cd éponyme a été enregistré avec Émile Parisien, la superbe prestation de Julien Lourau montre qu'il a su apporter sa propre personnalité à ce répertoire, et lui apporter une autre richesse.

Bien sûr, nous avons affaire à un groupe de jazz, ce qui signifie que l'interplay est permanent et que l'improvisation tient une grande place. On a eu donc droit à quelques chorus magnifiques de chacun des musiciens, et en fin de concert, à un solo mémorable de Fabrice Moreau, d'une musicalité rare. Stéphane Kerecki ne tire jamais la couverture à lui, mais nous rappelle à tout moment avec élégance quel grand contrebassiste il est, et Josef Dumoulin, poète tout en retenue du Fender Rhodes, peut aussi être explosif et lyrique sur le piano acoustique.

Ainsi pour paraphraser Prévost dans DNJ, Stéphane Kerecki, tirant le meilleur parti d'un matériau fortement connoté, montre qu'il est possible pourtant de le tirer vers d'autres univers. C'est toute la magie du jazz, cette faculté de s'approprier des musiques avec respect, et de leur donner une nouvelle vie, que leurs créateurs n'auraient sans doute pas imaginée.

Un grand moment de musique vivante, qui a réchauffé un public ayant bravé le mauvais temps !

Patrice Boyer