On les attendait avec impatience, depuis leur performance qui avait ravi le public au Gaume Jazz Festival en 2013. Depuis, le show a évolué, avec une importance moindre des vidéos, laissant plus de champ libre à de nouvelles compositions, et surtout au concept de concert interactif permettant aux spectateurs d'intervenir par le biais d'une application de leur smartphone.
C'est d'abord une vidéo de présentation du groupe par un speaker à l'accent canadien, trame rythmique pour le piano de Tony Roe qui épouse toutes les syllabes d'un texte griffonné qu'on déchiffre sur un téléviseur vintage occupant tout l'écran de fond de scène.
Suit un morceau très énergique au découpage rythmique hallucinant : une relecture du mouvement Precipitato de la septième sonate de Prokofiev… C'est du moins ce que nous a révélé le contrebassiste Pat Cleaver, le seul francophone de la bande, et nouveau venu dans l'aventure de Tin Men & the Telephone.
Tony Roe a bardé le Pleyel de l'Auditorium d'électronique, capteurs et effets divers, et gère tout en jouant les images et sons pré-enregistrés qui servent de base à beaucoup de ses compositions ; deux webcam captent les musiciens en action.
Le batteur bulgare Bobby Petrov peut appuyer des rythmes d'une grande rigueur et complexité, puis souligner très finement aux balais les mélodies qui s'intercalent entre les morceaux les plus délirants. Et de ce côté-là, on est servis. Ainsi les images d'un match de tennis féminin donnent le rythme d'un morceau complexe, avec des bribes de "Someday my Prince Will Come", ponctués par les cris des joueuses, lesquels samplés sous les doigts de Tony Roe deviennent un ostinato rythmé par la batterie. La magie vient du fait qu'on ne sait pas vraiment si les images et samples sont gérés par les touches du piano, ou si Tony Roe se synchronise avec des éléments programmés. Il doit y avoir un peu des deux selon les situations, et dans tous les cas le travail est impressionnant.
Quelques morceaux purement musicaux, qui prouvent que Tin Men & the Telephone est avant tout un trio jazz virtuose et aventureux ayant bien digéré toutes les influences, de la musique classique du vingtième siècle au hip-hop en passant par la musique des Balkans, et on aborde la phase interactive.
Pat Cleaver invite les spectateurs à connecter leur smartphone, et à faire un choix parmi les options proposées : solo de batterie, piano ou contrebasse, plus lent ou plus rapide, joué de manière romantique, sombre, répétitive, tranquille ou bizarre… Les propositions s'enchainent, permettant au morceau de prendre des directions bien différentes. Au bout de quelque temps les spectateurs peuvent donner leur sentiment (voir photo de une !)
De l'humour donc, et pas qu'un peu, mais aussi de la musique, des choix et des risques.On reprend les vidéos avec quelques vaches hollandaises, visiblement un peu rétives aux ordres que voudraient leur donner les touches du piano de Tony Roe. Le système montre quelques faiblesses, les touches du Pleyel étant légèrement plus étroites que la norme habituelle. Peu importe, le contrebassiste trafique le son de sa basse, passant du meuglement au bourdonnement, et une mouche envahit l'espace sonore avant de finir écrasée par les balais de Bobby Petrov.
Les spectateurs peuvent ensuite participer à une course de dromadaires en secouant frénétiquement leurs portables, la vitesse de deux dromadaires s'affiche : plus de 200 km/h quand même, qui l'eût cru? Naturellement les musiciens profitent de cet intermède pour interpréter un morceau orientalisant sur un rythme effréné.
Suivent quelques morceaux purement instrumentaux qui prouvent que Tin Men & the Telephone est avant tout un trio jazz virtuose et aventureux ayant bien digéré tout un tas d'influences, de la musique classique du vingtième siècle au hip-hop en passant par la musique des Balkans.
Petit moment magique avec une ballade pour laquelle on demande au public de pousser le volume des smartphones à fond : ils émettent alors des bribes du piano trafiqué de Tony Roe, et les sons se propagent ainsi délicieusement dans la salle.
Pour le rappel, un morceau basé sur des bribes de commentaires d'un match de foot batave, mis en boucle pendant que l'écran affiche le texte : de bal, de ball..., et des échanges de messages sur grand écran entre les spectateurs et les touches du piano de Tony Roe, qui semblent s'obstiner à inventer leur propre langage.
Ce concert d'un nouveau genre, étonnant, qui a ravi les spectateurs, était le sixième organisé par Charleville Action Jazz en partenariat avec la Médiathèque de Sedan. Remercions la Communauté d'agglomérations Charleville-Mézières / Sedan qui l'a inscrit dans le programme des actions de préfigurations de la future SMAC, et la Ville de Sedan pour l'installation de bornes wi-fi à l'intérieur de l'Auditorium Pierre Mendes-France.Patrice Boyer