Il y avait foule au Théâtre pour le concert du Quartet d'Erik Truffaz. Il faut dire que son dernier passage, (avec Nya, à l'Auditorium du CRD), remontait à 1999 ! Depuis, le trompettiste a parcouru le monde avec de nombreux projets. Du quartet originel d'Erik Truffaz ne restent que le leader et le bassiste Marcello Giuliani. Le pianiste Benoît Corboz les a rejoints en 2010, et le benjamin du groupe, le jeune batteur Arthur Hnatek a intégré la formation pour l'enregistrement de son dernier opus, "Doni Doni".
Globalement, l'univers d'Erik Truffaz est toujours aussi reconnaissable, même si la musique et le son ont évolué au fil des années et des différentes rencontres qui l'ont enrichi : un son et un phrasé identifiables entre mille, des rythmes groovy n'excluant pas une certaine nonchalance, un travail sur le son mêlant sonorités acoustiques et électriques, l'apport de rythmes et de mélodies inspirées des "musiques du monde", le sens de l'espace, voici quelques-uns des ingrédients qui font la spécificité de ce quartet.
Le concert très bien construit commence par une série de morceaux assez électriques, avec une montée en puissance, un son très travaillé qui prend progressivement de l'ampleur. Puis vient une série de morceaux au cours desquels Benoît Corboz privilégie le piano acoustique, et enfin un retour à l'électricité avec des morceaux aux rythmes plus appuyés.
Les musiciens sont parfaits : Benoît Corboz triture les sons de son Fender Rhodes qui passe par de nombreuses pédales et nous donne des sonorités parfois très seventies, parfois plus contemporaines. Il prouve lors des passages acoustiques qu'il est également un pianiste hors-pair. On ne peut qu'être admiratif devant le travail de Marcello Giuliani : il assure une assise souple et dansante, maîtrise parfaitement le son, et sa complicité avec Erik Truffaz est évidente. Quant au jeune batteur Arthur Hnatek, il apporte vraiment quelque chose de nouveau au groupe, avec une approche très réfléchie, construisant son discours de façon très personnelle, en utilisant les contrastes de sonorités, de timbres, de matériaux de son set. Construisant/déconstruisant les rythmes, il offre à ses partenaires un espace ouvert qu'ils peuvent occuper soit en le meublant de sons et de phrases complexes, soit en laissant respirer des silences, très importants dans la musique de Truffaz. L'utilisation véhémente du tom basse appuie le caractère africain de certaines compositions.
Erik Truffaz affiche sa décontraction habituelle. Il dégage une impression de sérénité. Il dit son bonheur de jouer à Charleville-Mézières," la ville où Rimbaud a écrit ses plus belles lettres".
Il déambule aux sons de sa trompette sur des ambiances tour à tour planantes, groovy ou africaines. Entre les excursions psychédéliques de la musique électronique et les promenades acoustiques, il trace son chemin, entraînant avec lui un public conquis, qu'il sollicite pour l'accompagner rythmiquement en fin de concert. S'il utilise avec bonheur les effets électroniques de sa trompette, parfois aussi pour sa voix passée au travers du micro de l'instrument, il nous offre également un très beau son acoustique, avec seulement la réverb de la sono. A plusieurs reprises, il s'éloigne même du micro et s'approche du public pour jouer sans amplification. Du grand art !
Le rappel est constitué d'une superbe ballade acoustique jouée en duo piano/trompette, suivie du morceau "Doni Doni", aux influences africaines, qui a donné son titre à l'album. Le public participe, enchanté de ces (presque) deux heures passées en compagnie de ces excellents musiciens.
Patrice Boyer