Connu pour une musique plutôt facétieuse et extravertie, Yom opère avec " Le silence de l'Exode " un revirement inattendu. Imaginez une longue suite musicale de 70 minutes, jouée sans interruption, pour nous faire partager les errances du peuple juif durant 40 années dans le désert du Sinaï
Accompagné de ses formidables musiciens, Bijan Chemirani aux percussions iraniennes, Farid D au violoncelle et Claude Tchamitchian à la contrebasse, Yom revisite le mythe fondateur de l’Exode.
Une traversée hypnotique que la composition originale évoque avec poésie. Le rythme lancinant de la marche en avant est rendu avec une justesse parfaite par la contrebasse, les percussions et le violoncelle. Ces instruments sont rarement en avant, mais malgré tout très présents, tissant un tapis parfois lancinant, parfois plus rythmé sur lequel Yom soliloque à l’aide de 2 clarinettes différentes, l’une classique, et l’autre turque en sol qui donne à la pièce musicale un son oriental plus chaud et plus grave. La technique instrumentale est éblouissante : virtuosité , qualité du son, souffle continu pendant de longues minutes, et si les tonalités sont toujours très orientales, on décèle sans peine d'autres références, à savoir les musiques répétitives chères à Phil Glass, Steve Reich et Michael Nyman ... De longues volutes de notes se succédant avec de subtiles variations pour créer un univers hypnotique. Contrebasse et violoncelle souvent joués à l'archet contribuent à l'élaboration de ce climat lancinant, de même que les magnifiques percussions de Bijan Chemirani. De temps en temps une cassure provoquée par les cordes frappées de la contrebasse et du violoncelle, et permettant à Bijan Chemirani quelques envolées - Quelle maîtrise du zarb, cet instrument de percussion iranien riche de sonorités infinies - D'autres fois la clarinette se tait, permettant à Claude Chamitchian d'explorer en pizzicati le manche de sa contrebasse, ou à Farid D. de faire sonner son violoncelle comme un oud. Lequel Farid D. fait souvent de son violoncelle "oriental" un usage assez peu conventionnel : quarts de ton, jeu en harmoniques, cordes frappées et même un moment jouées avec un bottelneck pour obtenir un glissendo ... Claude Tchamitchian n'est pas en reste : son magnifique dans les graves, choix des notes, archet magique, maîtrise des harmoniques ... Quant à Bijan Chemirani, ce ne sont pas les amateurs fan du Trio Chemirani qui me contrediront, il impulse un rythme tout en finesse, riche des sonorités qu'il tire de ses divers tambours ... Mais ces merveilleux musiciens sont avant tout au service d'un son collectif, portant la clarinette de Yom dans ses errances hypnotiques et mystiques à travers le désert du Sinaï. Et quant à la fin de la pièce, les instruments petit à petit se taisent, le public n'ose rompre le silence et il se passe de longues secondes avant que les applaudissements nous ramènent à la réalité !
Pour le rappel, Yom explique avec humour que "Le Silence de l'Exode" est un morceau conçu comme une entité, dont il ne peut reprendre un extrait sorti du contexte, et qu'il va donc rejouer la pièce entière ... pour finalement se raviser et jouer une prière traditionnelle hébraïque, qu'il a mise à son répertoire en constatant que le monde va bien mal, en espérant que cette prière sera entendue. Il ajoute que malheureusement depuis quelque temps les événements le font douter de son efficacité, mais que de toute façon, cette prière ne peut pas faire de mal. C'est donc sur cette belle mélodie jouée avec ferveur que l'on se quitte, après avoir passé un superbe moment plein d'émotion. Merci Yom, Bijan, Claude et Farid pour ce beau voyage !
Patrice Boyer