Mardi 10 Novembre 2009

Auditorium de l'ENMD
CHARLEVILLE-MEZIERES

Colin Vallon Trio



Colin Vallon : piano
Pat Moret : contrebasse
Samuel Rohrer : batterie

Au risque de décontenancer l'auditoire, Colin Vallon attaque le premier morceau sur un piano "préparé ", usant de différents accessoires pour pour lui donner un son de bastringue déglingué, jouant une mélodie désuète et légèrement fausse qui vient maltraiter délicieusement nos oreilles. Bruissements de cymbales, frottis de peaux ajoutent à la sensation de distorsion de la perception. Mais pas de panique, on entre dans le domaine de l'imaginaire. On a beau être à Charleville, on est loin du dérèglement de tous les sens prôné par Rimbaud. Simple sensation de percevoir la réalité par un prisme déformant, dont l'effet s'atténue doucement, tandis que peu à peu, les basses du piano et de la contrebasse nous entraînent en terrain plus familier. Le piano retrouve aussi une couleur plus conforme, mais persiste une sensation de flottement, de rêve éveillé.
Vous l'aurez compris, Colin Vallon et ses musiciens nous invitent dans leur univers. On est loin de ces trios qui revisitent sans cesse les mêmes standards sur les mêmes grilles harmoniques. Pourtant les références au jazz restent présentes. Un auditeur à l'oreille avertie me faisait remarquer les clins d'oeil au "Blue Rondo à la Turc " dans le morceau baptisé "Istanbul". Colin Vallon évoquait dans une interview son désir d'échapper à l'influence de Brad Mehldau : elle est maintenant difficilement perceptible. Furtivement, le trio m'a rappelé au cours d'un morceau un autre trio, celui formé par Geri Allen, Paul Motian et Charlie Haden, peut-être à cause du jeu très ouvert du batteur, le magnifique Samuel Rohrer, associé à l'assise solide de la contrebasse de Pat Moret. Peut-être également les compositions aériennes de Motian ont-elles une petite parenté avec celles de Colin Vallon et de ses compagnons. Mais encore une fois, il s'agit d'une sensation furtive : alors que Allen/Haden/Motian oeuvrent dans une certaine gravité, Vallon/Moret /Röhrer développent un univers rêveur et méditatif avec sérénité .
Le trio revisite "Zombies", des Cranberries avec ce refrain obsessionnel, avant de nous embarquer dans des compositions à forte coloration balkanique ( "Babylone", et le Folk-song bulgare"Trenke, Todorke" ), Colin Vallon utilisant encore quelques accessoires pour faire sonner son piano comme un cymbalum, et Samuel Rohrer se montrant aussi flamboyant sur ces rythmes énergiques qu'il sait se faire discret lors de passages intimistes de sa composition "Langsam Gehen ". Pat Moret, qui sait parfois s'évader de son rôle d'assise rythmique ( beau son de basse boisée ) pour jouer un ostinato dans les aigus, ou sculpter une mélodie à l'archet, propose lui aussi une composition intitulée "Télévision ", mais à vrai dire il nous serait difficile d'attribuer telle ou telle composition à l'un ou l'autre des musiciens : on a réellement affaire à un groupe . Le concert se termine par un morceau très serein pour lequel Colin Vallon utilise quelques accessoires mystérieux faisant vibrer les cordes du piano en sons continus propices à une improvisation méditative. Le public, qui a pris goût au voyage intérieur en veut plus, et le trio reviendra pour deux rappels .
On retrouvera avec plaisir Colin Vallon en mai prochain au sein du trio de la chanteuse albanaise Helina Duni, et on n'oubliera pas de sitôt ce beau concert.
Patrice Boyer

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Photos de la balance et du concert par Dominique Rieffel