Audience des grands jours pour le concert de Córdoba Reunion. L'auditorium
de l'E.N.M.D. archi-comble n'aurait pu accueillir un spectateur de plus.
Certes Minino Garay n'est pas un inconnu à Charleville-Mézières,
s'étant déjà produit auparavant à 3 reprises,
avec Julien Lourau Groove Gang, puis avec Daniel Mille, et enfin avec
ses "Tambours du Sud" pour une soirée organisée
par l'équipe des "Tambours de Fête" au Théâtre
Municipal. On connaît le charisme de ce percussionniste d'exception,
qui a sans doute incité une partie du public à ne pas manquer
ce concert. Et puis, l' "Argentina Jazz" était un genre
nouveau dans la programmation de Charleville Action Jazz.
Une partie du public avait sans doute les enregistrements de Gato Barbieri
en mémoire, et désirait confronter ses souvenirs à
la musique de Córdoba Reunion. Ces auditeurs n'ont sans doute pas
été déçus, encore qu'il n'y ait que peu de
points communs entre ces univers. Ici pas de soliste promenant son saxophone
sur un foisonnement de percussions, mais un groupe soudé, sans
véritable leader. Chaque musicien est tour à tour compositeur,
et tous se partagent les chorus. On a droit à quelques beaux passages
en trio mettant en valeur le magnifique jeu de piano de Di Giusto, quelques
duos Girotto/Garay, le saxophoniste s'arqueboutant avec son soprano face
à la batterie de Minino Garay, mais le plus souvent, le quartet
joue avec un bel équilibre.
Il s'agit avant tout d'une formation jazz, mais les rythmes installés
par le percussionniste batteur sont typiques de l'Argentine. Le tom basse
de la batterie a été remplacé par un "bombo
leguëro", tambour traditionnel de ce pays, et une sorte de tambourin
"caja" a été ajouté à gauche de
la caisse claire. Minino utilise aussi régulièrement le
cajon sur lequel il est assis, ainsi que quelques percussions à
main de la famille des maracas. Ce savant mélange d'instruments
traditionnels et modernes est à l'image de la musique: les racines
sud-américaines servent de tremplin à l'expression d'une
sensibilité contemporaine.
Javier Girotto est impressionnant, autant sur des ballades (magnifique
composition personnelle "Marcari"sur fond de percussions et
onomatopées de Minino), que lors de longs chorus sur lesquels il
repousse les limites de son soprano à la raucité très
sensuelle. Carlos Buschini délaisse souvent sa contrebasse pour
une basse électrique six cordes, surtout lorsque les morceaux s'appuient
sur des rythmes de danses traditionnelles. Quant à Gérardo
Di Guisto, son jeu percussif et sa science harmonique évoquaient
parfois Chick Corea, et ses compositions donnaient vraiment envie de découvrir
son projet "Di Giusto Y Camerata Ambigua", pour piano et Quintet à cordes,
qui vient de faire un triomphe au festival Son d'Hiver...( écoute et vidéo
en ligne). sur leur site internet
www.camerata-ambigua.com
L'Argentine n'était pas présentée comme dans un dépliant
touristique, mais comme un pays à l'histoire douloureuse que ces
quatre déracinés originaires de la ville de Córdoba
évoquent avec émotion. La composition "Danza de las
Madress", évoquant le combat de ces mères courage réclamant
des nouvelles des disparus sous la dictature militaire était de
ce point de vue sans équivoque.
Le public,
gagné par l'émotion a réclamé un rappel. Les
musiciens visiblement sensibles à cet accueil chaleureux ont conclu
le concert en faisant chanter à la salle une petite ritournelle
sur laquelle le saxophone de Javier Girotto a fait des merveilles.
Beau final pour un concert en tous points mémorable.
Patrice Boyer