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Jeudi 22 mars 2018

 Auditorium Conservatoire Ardenne Métropole
CHARLEVILLE-MÉZIÈRES

DANIEL ERDMANN'S VELVET REVOLUTION


photo Dominique Rieffel

Daniel Erdmann : saxophones
Théo Ceccaldi : violon, violon alto
Jim Hart : vibraphone

Daniel Erdmann's Velvet Revolution : une formation atypique au service d'une musique intense, à la fois ludique dans sa manière d'aborder les thèmes, et savante dans l'arrangement des textures sonores et la construction des morceaux.

Parlons tout d'abord de cette formule totalement inédite incluant saxophone ténor, violon ou alto, et vibraphone. Des couleurs rarement associées, d'autant plus que les trois musiciens présents possèdent une forte identité, et un son unique.
À tout seigneur, tout honneur, commençons par l'instigateur de ce projet, Daniel Erdmann. L'un des plus beaux sons de ténor de la scène européenne, à la fois résolument moderne et profondément ancré dans la tradition des saxophonistes qui, de Ben Webster à Albert Ayler, en passant par Archie Shepp, travaillent le souffle et le grain, avec une profondeur audible du moindre chuintement au déchaînement paroxystique, du feulement sensuel au cri retenu ...
Théo Ceccaldi, investi corps et âme, utilise toutes les ressources de son violon et de son alto, incluant pizzicato, cordes frappées, jeu en harmoniques, arpèges, et bien sûr une technique d'archet impressionnante, le tout agrémenté de quelques effets électroniques dispensés avec parcimonie. Pas surprenant qu'il soit demandé sur tous les fronts, de Michel Portal et Daniel Humair à l'Orchestre National de Jazz.
Jim Hart, encore peu connu en France, alors qu'il a reçu en Grande-Bretagne un English Jazz Award, et qu'un musicien aussi renommé que Wynton Marsalis l'invite à participer au Lincoln Center Jazz Orchestra, Jim Hart, donc, qui maîtrise admirablement une palette de sons, s'avère être aussi un rythmicien hors pair. Pas étonnant quand on sait qu'il tient aussi la batterie dans d'autres formations.

La réunion de ces trois fortes personnalités serait vaine si elle n'était pas au service d'une vision, d'une écriture. Là encore, Daniel Erdmann, compositeur de tous les morceaux, fait preuve d'originalité. S'il distille un nombre impressionnant de petites mélodies accrocheuses, il les amène parfois par des voies détournées, pour finalement les reprendre plus franchement, et même en répéter les motifs, en leur donnant de plus en plus d'intensité. D'autres fois, il part d'un ostinato rythmique pour l'amener à une mélodie qui prend peu à peu une ampleur lyrique, à la manière des hymnes révolutionnaires. Il y a toujours une ambivalence dans son propos : ambiance feutrée et fougue maîtrisée, tradition et modernisme, révolution de velours. Les titres énigmatiques des morceaux relèvent d'une poésie qui transparaît dans la musique.

Sur la base de ce projet bien pensé, parfaitement abouti, les trois compères se permettent toutes les libertés, alternent les combinaisons, l'un d'entre eux pouvant assurer une fonction rythmique pendant que les deux autres dialoguent sur les mélodies, ou les jouent à l'unisson. Au cours du concert, chacun trouve un espace où mettre en avant son talent particulier. Ainsi Théo Ceccaldi peut-il proposer une longue introduction à l'alto pour "Les Frigos", aux accents parfois "bartokiens", puis exposer le thème avec un son de viole de gambe. Jim Hart peut se permettre quelques chorus enlevés, mais aussi installer des ambiances évanescentes, et Daniel Erdmann, formidable conteur peut nous emmener dans un univers peuplé de rêveries sensuelles, de comptines et d'hymnes à une liberté qu'il s'octroie, libérant de son saxophones des flots imprévisibles, allant du souffle léger au déchaînement torrentiel, du murmure au cri.

Un grand moment assurément, on quitte le concert avec le sentiment d'avoir découvert un autre monde, et la furieuse envie de réécouter le disque "A Short Moment of Zero G", enregistré en 2016 à Budapest, un chef d'œuvre dont on ne se lasse pas !

Patrice Boyer