Une bien belle
soirée, mettant en valeur un style de musique rarement programmé
par Charleville Action Jazz. En effet, le quartet de David Murray est
profondément ancré dans l'histoire du jazz afro-américain.
Tout en proposant une musique originale, on sent en permanence un profond
respect pour ceux qui ont marqué à jamais l'histoire du
saxophone ténor, de Ben Webster à Albert Ayler. Et quel
son, aussi époustouflant dans les ballades ( gros grain, vibrato
apte à procurer de fortes émotions), que dans les chorus
aux marges du free jazz, avec growls, emploi fréquent de notes
suraiguës alternant avec des feulements graves, David Murray déborde
de lyrisme, et reste toujours mélodique.
Le concert commence
par "Sparkle", extrait du dernier album du quartet associé
à une section de cordes, morceau dédié à
Curtis Mayfield, sur une rythmique funky. D'emblée, on est séduit
par la cohérence du quartet, et les chorus des musiciens placent
la barre très haut. Suit " Flowers for Albert ", dont
le thème évoque à merveille le caractère
innocent des compositions du grand Albert Ayler, à qui le morceau
est dédié, et qui est l'occasion pour David Murray d'explorer
les possibilités du ténor, avec effets diphoniques , registre
impressionnant et bien d'autres techniques repoussant les limites de
l'instrument. Les deux morceaux suivants sont interprétés
à la clarinette basse, le premier, "Banished ", présenté
comme la musique d'un film à venir évoquant le racisme
, " occupation favorite de beaucoup d'américains ",
si j'ai bien compris les propos de David Murray. Sur
cet instrument, David Murray semble plus sobre, et les effets de slap
ne viennent pas altérer la sensibilité générale
de l'interprétation. Les partenaires se révèlent
à la hauteur du leader, le pianiste, Lafayette Gilchrist, prolixe
évoquant souvent Mc Coy Tyner, le contrebassiste, Jaribu Shahid,
avec une articulation très claire et des chorus remarquablement
construits, et le batteur, Renzell Merritt efficace et original. C'est
d'ailleurs bizarrement le batteur qui aura l'occasion d'affirmer son
originalité aucours d'un échange de 4/4 particulièrement
inventif avec David Murray lors du morceau ' Mister PC", que John
Coltrane avait composé en hommage à son bassiste Paul
Chambers. Tout au long du concert, David Murray décline tout
aussi bien des morceaux récents, que quelques standards, mais
aussi de nouvelles compositions pas encore enregistrées, et tout
au long du concert, on traverse l'histoire du jazz américain.
Mais attention, pas à la manière d'un catalogue. David
Murray est imprégné de cette culture, il ne la visite
pas en historien, mais vit intensément cette musique, et mêle
en un son unique les éléments qui, successivement au fil
des décennies ont fait l'histoire du saxophone ténor.
Le rappel fut un
moment exceptionnel: tout d'abord "Hope/Scope", nouvelle composition
impressionnante de liberté alternant de longues phrases jouées
en souffle continu avec glissendo entre les notes, et d'autres phrases
avec une articulation précise de chaque note. Ce morceau fut
l'occasion pour chaque membre du quartet de s'exprimer dans un registre
plus libertaire. Suite à ce déluge de sons , la ballade
de Billy Strayhorn " Chelsea Bridge " concluait le concert
par un grand moment de sensibilité, le ténor de Murray
distillant, avec un son magnifique et un vibrato unique des émotions
intenses.
Patrice Boyer,
photos J.P. Cosset