L’un des principaux atouts de Fred Borey, digne héritier de Joe Henderson et Jerry Bergonzi, deux influences majeures qu’il revendique, est de jeter des ponts entre la culture afro-américaine et la tradition européenne. Allant beaucoup plus loin que ses allusions directes à Kodaly, Bartok ou Debussy, cela s’entend dans les harmonies dont il habille ses compositions. Les thèmes très bien construits, à l’instar de ceux de Wayne Shorter par exemple ont souvent une petite saveur du vieux continent, tout en s’inscrivant dans la continuité de ce jazz qui nous vient des Etats-Unis. Bien sûr, le jeu de saxophone de Fredéric Borey nous amène de l’autre côté de l’océan, le phrasé, la clarté du discours, l’articulation, le velouté du son se permettant toutefois des dérapages en harmoniques parfaitement maîtrisés. Tout ceci s’inscrit dans l’histoire du jazz, mais Fred Borey y ajoute avec subtilité une touche personnelle, sûrement induite par sa grande connaissance de la musique classique européenne. Pour ce faire, il est aidé par une formidable rythmique : la contrebassiste Nolwenn Leizour, trouvant toujours la note juste, sans en rajouter, avec un son remarquable, qui se permet de rares chorus avec un réel sens de la mélodie et de l’économie, et le batteur Stephano Luccini, à la frappe précise et incisive. La surprise est venue du pianiste, Paul Lay, remplaçant au pied levé Camélia Ben Naceur retenue par une fièvre tenace. C’est là un des miracles du jazz : comment des musiciens qui ne se connaissaient pas quelques heures plus tôt peuvent-ils se trouver sur la même longueur d’ondes si facilement ?
Le fait que Paul Lay ait reçu les partitions deux jours avant n’explique pas tout, il faut une bonne dose de talent pour s’approprier les compositions et leur apporter son univers personnel, et même une nouvelle ouverture que Fred Borey semblait apprécier particulièrement. Retenez le nom de Paul Lay, ce jeune musicien au jeu très original adoubé par Martial Solal ira loin!
Les compositions, toutes signées de Frédéric Borey, à l’exception de "Lines for Kodaly" , subtil habillage harmonique d'une mélodie "nue" du compositeur hongrois, sont pour la plupart issues de "Lines", le dernier album en date. On a eu également droit à la primeur de quelques nouveaux morceaux qui feront la matière d'un enregistrement en préparation.
Reste à parler de l'émotion qui passe dans cette musique, que les musiciens rendent visible sur scène et qu'ils transmettent au public avec un plaisir évident pour conclure cette évocation d'un concert fort plaisant.
Patrice Boyer