Mardi 28 mai 2013
Auditorium CRD
CHARLEVILLE-MÉZIÈRES
JOHN LAW 's CONGREGATION
photo Michel Renaux
John Law :
piano
Yuri Goloubev :
contrebasse
Asaf Sirkis :
batterie
Le concert commence avec un morceau employant une technique de composition chère à John Law : des strates de piano formant une base continue et mouvante, les strates se recouvrant comme des vagues qui donnent le rythme du morceau. De ces vagues émerge un thème joué à l'archet par la contrebasse sur lequel vient se greffer une batterie tout en finesse : C'est "The Ghost in The Oak", extrait de "The Art of Sound volume 4 ". La main gauche du pianiste donne vie à ces vagues tout au long du morceau, tandis que la main droite développe la mélodie, la batterie et la contrebasse se faisant très discrètes et allant même jusqu'à s'effacer pour libérer l'espace au piano. Ce type de composition trouvera son aboutissement dans le morceau "Three Leaps of The Gazelle ", lui donnant un côté un peu "planant", renforcé par le hang-drum d'Asaf Sirkis. S'il n'a malheureusement pas été joué ce soir, il vous reste le disque !
Voilà, les jalons sont posés, on n'aura pas un concert de jazz traditionnel, avec thème/impros/reprise du thème ... L'écriture est sophistiquée et originale et la culture classique de John Law, du plain-chant médiéval aux répétitifs contemporains se fait discrètement sentir.
Pourtant le second morceau tranche radicalement : riff obsédant, batterie d'abord discrête, devenant peu à peu plus énergique, contrebasse groovie : John Law place serviettes et polystyrène sur les cordes pour pervertir le son, Asaf Sirkis martelle ses peaux avec une précision remarquable ( quel son ! ), et Yuri Goloubev prouve qu'il peut être redoutable dans un contexte plus "funky". C'est "Insistence", un extrait de "Three Leaps of the Gazelle ", le dernier opus du trio. Plus tard, beaucoup plus dynamique, viendra un autre extrait de "The Art of Sound , "Congregation ", morceau emblématique puisqu'il est non seulement le titre de l'album, mais aussi le nom qu'a pris ce merveilleux trio. Le trio dévoile ici toute sa puissance : ça envoie!
John Law présente ensuite avec un humour très british un nouveau morceau inspiré par le philosophe René Descartes : " I sink , therefore I swam " , avant d'annoncer que finalement, il le jouera plus tard ... et interpréter une magnifique ballade tout en retenue, " The Quiet Dignity of The Minor", hommage au mouvement de grève des mineurs qui secoua l'Angleterre en 1984/85. Il souhaite évoquer le son des harmonies populaires qui ont accompagné les grèvistes , ( souvenez-vous du film " Les Virtuoses " ). L'émotion très forte a évoqué chez moi le jazz sud-africain d'Abdullah Ibrahim ( Dollar Brand ) , lui aussi inspiré par les musiques populaires des townships.
Voilà en quelques compositions trois versants différents de l'univers de John Law. Il faut y ajouter aussi les références plus directes à la musique classique : au cours du morceau très rythmé "Finger on the Pulse", ponctué d'une très belle phrase de contrebasse, et après une improvisation très libre, John Law cite sans prévenir " Traümerei " de Schumann , repris instantanément par l'archet de Yuri Goboulev : magnifique ! Et cela n'empêche pas le rythme de reprendre le dessus, avec un Asaf Sirkis très présent, et un trio soudé dans l'énergie. John explique dans les notes de pochette de "Three Leaps of The Gazelle ", album où l'on peut trouver ce morceau, qu'au cours de l'enregistrement cette mélodie de Schumann lui est venue spontanément et que Yuri l'a immédiatement suivi. Magie des grands improvisateurs !
La musique classique, baroque cette fois, se retrouve en première ligne dans l'exposé du thème de "Three Parts Invention " : une ligne de basse virtuose évoquant Bach sans le citer, jouée par le piano puis par une contrebasse volubile ( quelle technique ! ), sur lequel se greffe une mélodie jazz qui amène un rythme reprenant le thème baroque.
Si la partie centrale fait la part belle à la mélodie ( très beau duo piano/contrebasse ), la troisième partie amène le thème de départ sur le terrain d'une énergie presque pop, avec une batterie qui enfle pour exploser dans un chorus époustouflant, Asaf Sirkis prouvant qu'il fait partie des très grands batteurs actuels.
Encore une fois, l'écriture de John Law fait merveille, les différentes parties se répondant, les harmonies sophistiquées se retrouvant, et le jeu faisant le reste. Le phrasé du piano est d'une fluidité incroyable, avec une respiration constante qui donne de l'espace et permet à John Law de montrer sa grande virtuosité sans jamais étouffer la musique ...
Bien sûr, au cours de ce concert ayant duré deux heures, il y a eu d'autres morceaux, je ne saurais les citer tous, et le beau public de l'Auditorium fit un triomphe mérité à ces trois fantastiques musiciens. Comme lors du premier passage chez nous de ce grand trio, on ne peut que s'étonner qu'il soit si peu connu en France, et déclarer avec fierté que Charleville Action Jazz n'est pas passé à côté de l'un des musiciens les plus passionnants et sous-estimés du moment.
Merci John, Yuri et Asaf, pour ce merveilleux moment !
Patrice Boyer