A 41 ans, le saxophoniste Jonas Knutsson est déjà un vieil habitué des
concerts de Charleville Action Jazz. Mais il n'est pas du genre à se
reposer sur ses lauriers : il nous revient chaque fois à la tête de
projets différents. Au fil du temps, la composante purement " jazz "
de sa musique a cédé le pas à la relecture du patrimoine traditionnel
suédois ; sa fructueuse collaboration au début des années 2000 avec
Ale Möller n'y est pas pour rien. Nous touchons là un aspect essentiel
d'une partie des musiques improvisées en Scandinavie : leur lien avec
le folklore, qui est revisité avec une fraîcheur et une créativité provenant
de la connaissance et de la pratique du jazz. Ce lien ne tombe d'ailleurs
pas du ciel, puisque la musique trad' est particulièrement riche et
vivante dans cette partie de notre continent. Cependant, Jonas ne se
contente pas de ce répertoire stricto sensu, puisqu'il apporte aussi
des compositions personnelles " dans la veine ".
Cette fois,
Jonas a choisi l'épure du duo, cadre idéal de la conversation, pour
se plonger, entre autres, dans les magnifiques mélodies en trois temps
de la polska, qui évoquent immédiatement tout autant les ciels immenses
et limpides, les côtes sauvages et les forêts profondes, bref une des
dernières natures souveraines en Europe, que les spelman stemma, rassemblements
d'amoureux du terroir qui dansent à longueur des nuits claires de juin
au son des " violoneux ". Epatant technicien des anches simples, Jonas
possède - surtout au soprano - une sonorité unique, bien qu'influencée
par celle de son aîné Jan Garbarek : fluide, à la fois douce et dynamique,
mais davantage chargée d'émotion que celle de son alter ego norvégien.
Son compagnon Johan Norberg exploite avec goût et inventivité les multiples
possibilités de timbres de ses guitares acoustiques, par exemple en
jouant avec un étouffoir pour évoquer la chute de la neige, ou en se
servant parcimonieusement de pédales d'effets. Un des morceaux fut interprété
au kantele, sorte de cithare traditionnelle finlandaise à la sonorité
cristalline. Une sonorisation soignée a fait le reste, donnant une véritable
dimension orchestrale au duo. Un des effets de cette musique est de
donner envie de découvrir plus avant la culture nordique, qui reste
toujours sous-estimée dans nos contrées.
Autrement, reste à attendre le prochain " éternel retour " du Suédois
!
Bernard Legros
Bernard Legros
est l'auteur des textes du livre de photographies de Christian Deblanc
"Musiciens de Jazz" ( Editions Versant Sud , 2002 )