Jean-Marie Machado
fut le premier invité de Charleville Action Jazz en 1990, avec
son fameux "Trio Machado" qui révéla également
les frères Moutin. Depuis, nous avons suivi avec intérêt
le déroulement d'une carrière sans faute, invitant à
nouveau le pianiste en solo en 1993, puis avec ce fabuleux duo "Impressions"
qu'il forme avec Andy Sheppard.
Tout au long de ces années, Jean-Marie Machado a su développer
des projets parfaitement aboutis, abandonnant la formule du trio jazz
avant qu'elle ne s'épuise, (pour mieux la reprendre récemment
avec Jean-Philippe Viret et Jacques Mahieux), tissant des liens de plus
en plus étroits avec d'autres musiques, voire d'autres formes d'expression:
concerts en solo, avec exploitation parcimonieuse du piano"préparé",
rencontre avec le percussionniste brésilien Nana Vasconcellos,
création de "Vibracordes", formation mettant en avant
un remarquable travail d'écriture, accueillant la section de cordes
de l'orchestre philharmonique de Radio France, mais aussi bien Laurent
Dehors, David Chevalier et Roman Lopez que des musiciens issus des musiques
dites "traditionnelles", et même un conteur. Citons également
la mise en musique de contes en direction d'un jeune public , et de nombreuses
créations lui permettant d'écrire pour cordes, chœurs et
percussions, tout en revenant régulièrement à des
formules plus "jazz", comme avec le quartet Lyrisme, au sein
duquel œuvrait déjà Andy Sheppard, également membre
du sextet "Andaloucia" revisitant la musique espagnole du 20ème
siècle. (Albeniz, Granados, De Falla)
Depuis des années, Machado navigue entre improvisation et écriture,
jazz et relecture de partitions classiques, musique et littérature,
racines et modernité.
Tout ce travail trouve un aboutissement dans ce programme en duo avec
Andy Sheppard ( également développé avec l'adjonction
d'une section de cordes ). Jamais peut-être les harmonies de ces
compositeurs de la période impressionniste que sont Ravel, Debussy,
Poulenc et Fauré n'ont-elles fusionné avec autant de bonheur
avec des accords et un phrasé issus du jazz. A tel point que les
compositions de Machado, s'intercalant entre les partitions classiques
semblent faire partie du même univers. Andy Sheppard, comme à
son habitude, atteint la perfection, et l'on comprend aisément
pourquoi de grands compositeurs tels que Carla Bley et Georges Russell
font si souvent appel à lui.
La prestation des
musiciens était particulièrement mise en valeur par la superbe
acoustique de l'Auditorium de l'E.N.M.D. dont la réverbération
naturelle convenait parfaitement à ce type de musique. Quel plaisir
que de saisir chaque nuance des instruments sans qu'ils soient amplifiés,
arrangés par une sonorisation. On s'émerveille quand le
soprano de Sheppard introduit une mélodie, faisant sonner les harmoniques
du piano et en jouant avant que Machado ne s'en empare pour les transformer
en de subtiles harmonies sur lesquelles il va développer le thème.
Le duo s'était
produit deux jours avant dans le cadre du Festival du Mans, et Francis
Marmande signait dans l'édition du Monde du vendredi 24 Avril un
compte-rendu dithyrambique dont je me permets de citer un large extrait:
"La mélodie serrée au plus près. La clarté
de l'articulation, son côté perlé, celle du mariage
des sons ; la liberté conquise dans l'exigence, sans renoncer à
rien : toutes les origines sont exploitées à fond, le lien
entre technique et liberté parfaitement exact.....Ce duo "Impressions",
parallèlement aux concerts en trio, en solo, au sextet Andaloucia,
marque un sommet....Un concert réussi, réussi à ce
point répond moins à une secrète alchimie qu'à
une poignée d'équations à onze inconnues. Etrange
intensité, violente densité. Machado n'a jamais changé
de cap. Sheppard, réclamé de tous les points du monde pour
son expressivité funky ( chez Carla Bley) ou exemplaire ( chez
Georges Russell) est le partenaire idéal.....
De Ravel à Debussy, le rapport entre les deux instrumentistes,
entre les deux formes, entre musique et textes, dans la proximité
de la poésie, touche à l'absolu...
Deux immenses musiciens: Machado (nom de deux poètes) et Sheppard
(humble génie)".
Ces mots de Francis Marmande s'appliquent tout aussi bien au concert
de Charleville-Mézières. Le public, moins nombreux malheureusement
que lors des derniers concerts organisés par CAJ, a montré
par des applaudissements chaleureux qu'une musique d'une telle exigence,
transcendant les genres était synonyme de bonheur absolu.
Patrice Boyer
photos Michel Renaux