Bénis des dieux !
Certes, le ton était humoristique, mais combien révélateur de l'ambiance qui règne au sein de ce quartet! Lorsque François Moutin présente ses partenaires, il annonce que la formation existe depuis 10 ans, mais que depuis qu'elle a intégré Pierre de Bethmann et Rick Margitza, lui et son frère Louis se sentent "bénis des dieux". Ajoutons à cela que dès la fin du premier morceau, Louis présente François comme "mon frère jumeau que j'aime", et que celui-ci quelque temps après annonce un "duo de jumeaux "avec "mon frère Louis que j'aime", et vous aurez une petite idée du climat propice à la communication . Et pour mieux faire partager cette euphorie, les jumeaux et leurs acolytes s'expriment sans retenue, mouillent leur chemise ( au sens propre pour Louis et François ), et dégagent une énergie peu commune qui laisse le public pantois. Non sans humour, Louis Moutin répond aux applaudissements plus que chaleureux provoqués par leur prestation dès le début du concert par un "Vous êtes formidables! Quelle énergie! Vous nous mettez le feu! "
Voilà concernant l'ambiance, mais la musique me direz-vous? Et bien elle est à l'avenant : voici un groupe qui communique, qui échange, et non seulement au sein de cette belle paire rythmique que forment les jumeaux, alternant regards complices et poses extatiques les yeux fermés, mais aussi avec un Pierre de Bethmann faisant cohabiter harmonies sophistiquées héritées de notre culture européenne et sens du groove digne des meilleurs pianistes américains. Quant à Rick Margitza, il est de toute évidence d'un tempérament plus réservé : il prend le temps d'exposer clairement les thèmes, travaille le son, et construit ses chorus savamment, tempérant parfois la folie ambiante pour mieux s'y fondre par la suite. Mais ne vous y trompez pas, si dès le départ du concert, le formidable moteur Moutin 's brothers entraîne la machine, aidé fréquemment par les relances de Pierre de Bethmann, Rick Margitza , profitant pleinement de ce formidable tremplin échafaudé par ses partenaires, emmène cette musique vers des cimes harmoniques rarement explorées.
Est-il besoin de revenir sur les qualités de ces musiciens qui n'ont plus rien à prouver. Technique éblouissante et imagination débridée de François Moutin, doublée d'un engagement physique impressionnant qu'il partage avec son frère Louis. Celui-ci a développé une approche de la batterie très personnelle, ponctuant ses relances de fréquentes pêches de cymbale chinoise, et variant les outils, baguettes, balais, mailloches, mains nues. Il s'exprime pleinement au cours de quelques duos impressionnants, avec François dès le troisième morceau, et avec Rick Margitza par la suite, ne se permettant un véritable solo qu'au cours du rappel.
Pierre de Bethmann, à l'aise comme un poisson dans l'eau, alterne piano acoustique et Fender Rhodes avec un égal bonheur, installe des climats, choruse brillamment et participe au groove collectif avec un plaisir évident : un régal. Et Rick Margitza, technique et son irréprochables, explore sans en avoir l'air des pistes inattendues, faisant preuve d'une inventivité discrète mais permanente, pour finalement se révéler à son tour comme un élément moteur.
Un mot sur les compositions, toutes signées François ou Louis Moutin, si l'on excepte une très jolie ballade de Rick Margitza en guise de second rappel : elles savent faire oublier leurs complexités rythmiques et harmoniques pour toucher l'auditeur par les émotions qu'elles provoquent, et ça, c'est l'apanage des grands .
Le public ne s'y est pas trompé, il a fait à ce quartet un triomphe tout à fait mérité.
Patrice Boyer