Jeudi 11 avril 2013
Auditorium CRD
CHARLEVILLE-MÉZIÈRES
PIERRE DE TRÉGOMAIN QUARTET
photo Michel Renaux
Pierre de Trégomain : chant
Arnaud Gransac :
piano
Bruno Schorp :
contrebasse
Benoist Raffin :
batterie
La concurrence était forte : d'autres spectacles, notamment au Théâtre, ont attiré le public potentiel de Charleville Action Jazz. C'est donc devant une petite audience que c'est déroulée la prestation du Pierre de Trégomain Quartet. Une découverte sans doute pour le public : le jazz vocal de Pierre de Trégomain s'éloigne des sentiers battus, et a de quoi dérouter les amateurs de jazz traditionnel associant le genre aux crooners reprenant des standards.
Hier soir, Pierre de Trégomain n'a interprété que des compositions personnelles, tirées de son premier album, ou en passe d'être enregistrées dans le second, actuellement en préparation. Ce qui surprend le plus, c'est le timbre de la voix : le premier morceau, "My cold Song " est un hommage à Klaus Nomi qui avait donné une version très personnelle du "Cold Song" tiré du "King Arthur" de Purcell. Et cette chanson raconte la découverte de cette interprétation, puis de l'original qui illustrait la scène de la mort de Molière dans le film d'Ariane Mnouchkine. La voix s'évade volontiers dans les aigus, comme celle de Klaus Nomi, et c'est encore plus flagrant dans un autre morceau, inédit celui-ci, "Let me be Voice ", inspiré par la musique baroque. C'est sans doute la première fois que j'entendais du jazz chanté par une voix de haute-contre : fortement original. Pierre de Trégomain explore aussi d'autres registres, sa voix lui permettant de couvrir trois octaves, tout en restant d'une belle clarté et d'une articulation sans défaut. Il est soutenu par la batterie très présente et incisive de Benoist Raffin avec qui il développe une belle complicité, les percussions épousant souvent le phrasé de la voix qui fait preuve d'une grande aisance rythmique. Le pianiste Arnaud Gransac, auteur de la plupart des arrangements, n'est pas en reste et fait preuve lui aussi d'une forte personnalité, tant dans ses choix harmoniques que dans ses chorus. Quant au bassiste Bruno Shorp, il assure des lignes de basse profondes et sont pour beaucoup dans la cohésion du quartet.
Si la plupart des textes sont en anglais, deux morceaux sont chantés en français, dont un nouveau texte "La Baleine", révélant une conscience écolo. Je dois avouer une préférence dans ce contexte pour la langue de Shakespeare, Pierre de Trégomain y semblant plus à l'aise. A ce sujet, il est agréable de le voir se mouvoir sur scène, esquissant quelques pas de danse pendant les passages instrumentaux, accompagnant son phrasé d'une gestuelle expressive. Pierre de Trégomain scatte avec aisance et parcimonie. Sa voix semble parfois flotter sur l'architecture très précise de la batterie, alors qu'à d'autres moments elle en épouse précisément les contours.
Les compositions s'enchainent, et si les rythmes sont variés, j'ai parfois ressenti une certaine lancinance dans les mélodies et les improvisations, s'expliquant sans doute par le choix de couleurs harmoniques de prédilection –" la gamme par tons me poursuit depuis des années", explique-t-il lors d'une interview pour Citizen Jazz. Heureusement, cette constante est rompue à plusieurs reprises par quelques thèmes plus accrocheurs ("Secret garden " Burnt fingers in love matters", "Let me be voice" ... ), le tout créant un univers personnel et poétique très particulier et personnel, magnifié par une voix unique.
Si lors du rappel, seul standard de ce concert, Pierre de Trégomain évoque l'interprétation de la grande Betty Carter, ce n'est sans doute pas par hasard. Comme elle, il aime les mots et les lignes mélodiques hors normes, comme elle il possède un univers et une présence scènique qui n'appartiennent quà lui.
Patrice Boyer