Qu'il soit en quartet, quintet, trio, duo, ou moyenne formation, et même lors de ses concerts de batterie solo, Bertrand Renaudin décline toujours un univers qui lui est propre. Ce fut encore le cas lors de ce concert en trio. S'agissant de la formule archétypale du trio Piano/Basse/ Batterie ,on aurait pu s'attendre à ce qu'il rentre un peu plus dans le moule, et fasse référence à quelque trio historique. Il n'en est rien. Nous avons eu droit à du pur Renaudin. Ceci grâce notamment à un remarquable travail de composition : un répertoire entièrement nouveau, écrit spécialement pour ce projet et donc pour les musiciens qui le défendent. Bien sûr, la couleur générale de ces compositions reste dans le même esprit : des mélodies très chantantes, qui s'impriment délicieusement dans le cortex, articulées autour du jeu incroyablement souple et structuré de la batterie, et favorisant l' "interplay" avec les autres instruments. Ces "chansons" que Bertrand Renaudin fredonne parfois en jouant composent un texte, que les trois compagnons respectent, tout en le mettant fréquemment en question par leurs extrapolations. Et avec des musiciens de la classe de Michel Benita et Emil Spanyi, ce texte s'enrichit grâce à la science et à l'imagination de ses interprètes.
D' Emil Spanyi, Bertrand nous confiera après le concert : " Emil, c'est un tout. Il possède une culture générale époustouflante, des connaissances très pointues dans des domaines aussi variés que l'aéronautique ( il est par ailleurs pilote d'avions) la technologie, le TGV, l'informatique, l'histoire, la philosophie... Il se nourrit de toutes ses connaissances, mais également d'un vécu très douloureux sous le régime politique hongrois. Tout ce qu'il fait vient de très loin, et est étayé pas cette culture incroyable. De plus, il est très attentif, à l'écoute, et met sa sensibilité et son inventivité au service des compositions. "
"Michel Benita, c'est autrechose. Ce que j'aime en lui, c'est que quand il joue, c'est toujours la première fois. Il est également très attentif au jeu de ses partenaires, et réinvente à chaque moment le texte. On peut avoir défini certaines balises pendant la balance, il les déjoue avec naturel , et prend des initiatives réjouissantes. C'est la force de ce genre de musiciens, il n'est pas besoin de tout leur dire. De plus, il me semble qu'ils ont été touchés par ce répertoire écrit pour eux, et qu'ils l'interprètent avec la profondeur que j'attendais... "
Bel hommage de la part du compositeur/leader. Le public a ressenti cette complicité et cette liberté, et lorsque Michel Benita s'est lancé sans prévenir dans un chorus imprévu en ouverture d'une composition, il a vécu avec le même sourire étonné que Bertrand Renaudin cette incartade réjouissante.
Pour beaucoup, la surprise vint d' Emil Spanyi, pianiste sous-estimé s'il en est, qui a subjugué l'auditoire pas son énergie et son inventivité.
Quant à Renaudin, son jeu de batterie est toujours aussi captivant, d''une cohérence rare. C'est un véritable langage, avec une respiration parfaitement adaptée aux compositions. Laissons Bertrand Renaudin parler de celles-ci :
"Le concert s' ouvre sur "Accuité", l'un des morceaux les plus construits de ce répertoire, aux grilles harmoniques bien définies.
Suit " Château Rouge" (" Après avoir joué dans 27 pays africains, je suis rentré chez moi, à La Goutte d'Or, et j'ai retrouvé l'Afrique et toute son ouverture à Château Rouge... " )
"Tutto va bene" est une composition complexe, basée sur un cycle indien très long, qui nécessite une attention de tout instant.
"Timide enfance" est une composition en 11 temps, écrite pour Emil, qui l'interprète avec beaucoup de sensibilité.
"Contemplations", comme son nom l'indique, est une composition contemplative, nourrie par la lecture des écrits d'Evagre Le Pontique, moine écrivain du 4ème siècle.
"L'Ouche fermée" , c'est une petite courette où il y a beaucoup d'arbres fruitiers. C'est aussi le nom de la maison de mes parents en Vendée. C'est une composition qui fait beaucoup jouer l'interaction entre les musiciens.
Vinrent ensuite, joués en rappel "Congo Brazza", morceau pour batterie solo, évoquant un de mes premiers voyages en Afrique, il y a 20 ans, et "Essentiellement ", morceau qui clôt le concert un peu comme il a commencé, sur une composition plus rigoureuse, avec une grille harmonique plus écrite. "Ces confidences, recueillies le lendemain du concert, peuvent donner un petit éclairage supplémentaire à une musique qui nous a apporté la chaleur qui manquait à cet hiver qui n'en finit pas. Une chaleur essentielle : celle du cœur.
Patrice Boyer