Décrire
la musique d'Yves Robert est une gageure, tant elle ne ressemble à
aucune autre. Le tromboniste lui-même semble en être conscient
lorsqu'il introduit le concert par une présentation d'apparence
très doctorale de sa démarche, avec l'humour qui le
caractérise.
Le concert commence : On est absorbé dans un univers mouvant,
une matière sonore inédite, d'où émerge
parfois une bribe de mélodie, qui prend peu à peu vie,
puis disparait doucement dans la masse sonore. Le regard s'accroche
alors à la performance des musiciens.
Beaucoup connaissent déjà Vincent Courtois, sa précision
et sa rigueur instrumentale associées à une grande inventivité
: travail au niveau du son, parfois acoustique et très droit,
parfois électrique presque rock, alternant archet et pizzicato,
le violoncelle se faisant alors contrebasse et apportant une solide
assise rythmique.
Edward Perraud sera pour tous une découverte, ou une redécouverte
pour ceux qui l'avaient vu sur cette scène en compagnie de
Sylvain Kassap et Hélène Labarrière, il y a quelque
temps.... Il surprend dès la première note par son utilisation
non conventionnelle de la batterie, utilisant une foultitude d'accessoires
pour frotter, gratter, fouetter peaux et métaux, le tout avec
une gestuelle impressionnante, le regard navigant constamment de son
instrument à la table posée à sa gauche où
sa main va saisir un archet, un peigne, une cymbalette, une brosse....pour
lui faire produire deux ou trois sons avant de le changer pour un
outil tout autant étonnant. Rassurez-vous, il utilise aussi
des baguettes et autres mailloches , et le plus surprenant est qu'il
reste toujours dans le groove, dans le rythme. Il n'est pas uniquement
un bruitiste, il est avant tout un batteur, et en tous cas, un grand
musicien.
Entre Vincent
et Edward, Yves Robert apporte sa respiration et un large éventail
de sonorités, grace sa maitrise technique ( multiphonies, slaps...)
et l'utilisation occasionnelle de sourdines. C'est lui qui organise
la progression des morceaux, présentés comme des suites.
C'est lui qui le plus souvent introduit les mélodies, parfois
à l'unisson avec Vincent Courtois. C'est lui qui décide
si elles doivent se développer ou se laisser happer par la
matière sonore afin de mieux ressurgir avec une force nouvelle
qui finira par les imposer, par les faire réellement émerger
et révéler leur beauté, leur tendresse.
Si le vocabulaire employé évoque souvent le marécage,
ne croyez pas qu'il s'agit d'un univers glauque et malsain. C'est
plutôt l'évocation de sentiments incertains mais toujours
tendres et sensuels, comme des caresses suspendues....Et l'on est
à nouveau surpris quand parfois la matière se pétrit
d'énergie : violoncelle et batterie assurent un court moment
une rythmique presque hypnotique et entre ces deux montagnes coule,
telle une rivière avec ses méandres et ses sinuosités,
un thème chaloupé joué par le trombone d' Yves
Robert,lequel esquisse même à l'occasion quelques pas
de danse. ( Cette nouvelle métaphore "hydrologique",
je l'ai empruntée à Edward Perraud, évoquant
après concert avec Vincent Courtois ce moment qu'il avait particulièrement
apprécié. )
Un concert qui étire la notion du temps qui passe. Yves Robert,
après les deux premiers morceaux qui ont duré une heure,
semble émerger et demande au public combien de temps le trio
a joué , avant de proposer une nouvelle suite pour conclure
la prestation.
Certains
auditeurs sortiront de ce concert un peu décontenancés,
d'autres enthousiasmés, mais tous avec le sentiment d'avoir
découvert une musique profondément originale, portée
par des musiciens au talent singulier.
Patrice Boyer
Les photos ont été prises pendant la balance.