Gerardo, c'est le seconde fois que tu joues à Charleville-Mézières.
La première fois, c'était avec Cordoba Reunion, et récemment avec Gaïa
Cuatro. Peux-tu nous raconter comment s'est passée cette rencontre improbable
entre des musiciens argentins et japonais ?
J'ai
rencontré Tomohiro (le percussionniste) pour la première fois en 1998
lors d'un premier voyage au Japon en accompagnant un grand flûtiste
argentin qui s'appelle Jorge Cumbo. L'expérience c'est renouvelée l'année
suivante et nous avons découvert beaucoup de points commun musicalement
parlant, en plus d'être devenus des amis Tomohiro et moi. Après ça,
Tomo est venu à Paris avec le quartette de Aska (violon) pour le festival
de Jazz japonais à la Maison du Japon et nous avons été présentés avec
Aska. L'année suivante (2003) Tomo me propose de présenter au même festival
un projet commun. J'invite Carlos à la basse et Tomo propose à Aska
de faire quelques morceaux avec nous (elle était dans le coin). Finalement
Aska a fait tout le répertoire avec nous et le concert a été une réussite.
L'année suivante nous avons réalisé la première tournée au Japon d'une
trentaine de dates et chaque année depuis nous faisons une nouvelle
tournée.
Quelle
est la part d'influences du Japon dans la musique de Gaïa Cuatro ?
Pour moi, la culture japonaise déborde de raffinement, contrôle du mouvement
et des sentiments dans une recherche constante du profondeur de l'âme.
Chaque geste a un sens et chaque son un message. Tomohiro et Aska sont
des vrais japonais qui défendent leur culture sans chercher les copies
(c'est malheureusement assez rare à trouver). Dans la culture latine
(argentine) la spontanéité, la passion exubérante et les grands contrastes
dynamiques et rythmiques sont la caractéristique essentielle. Cette
rencontre musico-culturelle réussit assez bien l'équilibre de ces deux
extrêmes d'expression.
Minino
Garay dans Cordoba Reunion, Tomohiro Yahiro dans Gaïa Cuatro : deux
grands percussionnistes au demeurant fort différents dans leurs interprétations
de rythmes latins. Comment qualifierais-tu l'un et l'autre ?
Ces deux percussionnistes ont le grand pouvoir de l'originalité. Minino
revendique furieusement ses origines argentines avec tout ce qui signifie
en tempérament, spontanéité et Tomohiro a la grande faculté d'avoir
une conception globale de chaque morceau, chaque coup est étudié et
calculé pour qu'il y ait juste ce qu'il faut pour la musique, ni plus
ni moins.
Le
premier cd de Gaïa , enregistré il y a deux ans au Japon , sort seulement
en France chez Cristal Records ( avec un accueil exceptionnel ), alors
que le deuxième,UDIN , enregistré en Avril 2006 en Italie vient de sortir
au Japon. ( KaiYa Records ) Quand aurons-nous le plaisir de le trouver
en France ?
Nous n'avons pas encore pensé à une date mais, il faut un délai minimum
pour bien diffuser le premier.
Tu
as évoqué la crise de la musique enregistrée, et ta préférence pour
la musique live. Tu as développé des idées intéressantes à ce sujet
sur ton site. Quelle est ta position concernant ce problème?
En l'an 2000, quand j'ai créé la première version de mon site, j'ai
écris une page philosophique autour d'Internet et la musique enregistrée.
Je vois que sept ans après beaucoup des points deviennent réalité (lire
ma page "philosophie" sur mon
site ). En gros: je suis contre les droits d'auteur pour la musique
enregistrée, je suis pour que la musique redevienne propriété du musicien
et de l'auditeur comme avant l'invention de l'enregistrement, sans passer
ni dépendre des intermédiaires commençants.
On
ne connaît pas Aska Kaneko en France. Ce fut pour nous une extraordinaire
découverte. Quel est son statut au Japon ?
Aska a participé à des projets très variés et très avant- garde et elle
s'est fait un public qui la suit par tout. Au Japon les chanteurs s'entourent
de musiciens de qualité qui sont par fois aussi connus qu'eux-mêmes,
c'est le cas pour Aska, qui est une violoniste très connue en tant que
side-woman mais qui produit aussi beaucoup d'enregistrements en tant
qu'arrangeur et réalisateur.
Tu
écris beaucoup, pour Cordoba et pour Gaïa, mais également pour un projet
dont tu es le leader : Camerata ambigua. Peux-tu nous en parler ? Camerata
Ambigua c'est une formation (quintette à cordes et piano) qui j'ai créé
en 2003 et avec laquelle j'ai sorti un CD en 2004 avec un accueil exceptionnel
de la presse. C'est une formation à priori de chambre, mais la musique
entièrement originale est basée sur le folklore argentin dans une version
très moderne avec une utilisation inhabituelle des cordes et de l'improvisation.
On a fait des très prestigieuses salles mais pas assez de concerts,
je manque d'une bonne stratégie pour faire tourner ce groupe.
Quelle
est la part de l'improvisation dans Camerata ?
Dans la musique de Camerata l'improvisation est intégrée dans la forme
musical de chaque morceau. Le répertoire est très bien équilibré et
pensé de telle façon que chaque instrument a son intervention soliste.
Souvent on me demande quelle est la partie improvisé et quelle est la
partie écrite, pour moi ça veut dire que la musique coule naturellement.
Tu
vis en France depuis une vingtaine d'années. Je suppose que tu as fuit
la dictature. Tu es retourné récemment en Argentine avec Cordoba Reunion.
Quelles ont été tes impressions en retrouvant ton pays ? Pourrais-tu
envisager d'y vivre à nouveau ?
Je ne suis pas parti à cause de la dictature, je suis venu en France
pour une recherche artistique. Je suis retourné plusieurs fois en Argentine
entre l'année dernière et cette année, pas seulement avec Cordoba, mais
aussi pour jouer en tant que soliste avec mes compositions pour orchestre.
Je sens un grand bonheur de jouer la-bas ma musique, elle est écoutée
d'une autre façon puisque je travaille toujours avec mes racines. Je
ne sais pas si je pourrais m' installer définitivement en Argentine,
j'aime beaucoup la France et l'Europe, mon rêve est de pouvoir voyager
continuellement.
Comment
la musique de Cordoba Reunion a-t-elle été perçue en Argentine ?
C'était un peu la "claque", on est venu de loin avec la musique du pays
mais faite d'une façon pas habituelle même pour les plus avancés dans
le domaine.
Arrives-tu
à concilier les trois projets : Cordoba, Gaïa, et Camerata ambigua ,
auxquels s'ajoutent des commandes d'écriture ? et lequel de ces projets
t'occupe le plus actuellement ?
J'aime tous ces projets et ils sont très complémentaires à mon équilibre
musical. J'aime l'écriture, j'aime le piano, l'aime l'improvisation,
la force et la douceur. C'est trop difficile d'intégrer tout ça dans
un seul projet, après tout est une question d'organisation.
La
première tournée européenne de Gaïa s'est achevée à Charleville ? Comment
s'est-elle passée, et à quand la prochaine ?
Cette première tournée a été difficile à " remplir ", le groupe n'est
pas très connu et les temps durs, cependant on a réussi à décrocher
une vingtaine de dates. Une grande épreuve aussi pour les japonais,
compte tenu de l'organisation et de certaines conditions : Au Japon,
nous sommes habitués à avoir toujours un roadie et un sonorisateur avec
nous, et là, on a du tout faire nous mêmes. Mais le merveilleux accueil
qu'a eu notre musique a effacé les fatigues et rempli le cœur de joie.
On prépare quelques festivals pour juillet en Italie, en octobre c'est
à nouveau le Japon et une prochaine tournée en Europe est en préparation
pour décembre prochain.
Propos recueillis
par Patrice Boyer