Pierre,
tu as animé le 5 mai dernier une première journée de stage
avec le big-band de l'ENMD. Quelles sont tes premières impressions?
Je suis très content
de travailler avec eux et Dominique Tassot que je connais depuis longtemps.
Il s'agit de jeunes musiciens, parfois très jeunes, qui bien qu'ils
aient encore peu d'expérience, sont frais et ouverts à la musique. Je
suis content d'avoir déjà pu les écouter en décembre, cela m'a permis
de préparer de la musique pour eux, pas seulement en termes d'instrumentations,
mais aussi de territoires à explorer ensemble.
La
première journée a été consacrée à des compositions de Mingus. Pourquoi?
Justement pour
cela, pour explorer des territoires musicaux riches en ouvertures, en
rigueur musicale, en sonorités, en couleurs. Mingus fait le lien avec
la Nouvelle-Orléans où le jazz est né, le premier morceau que nous avons
joué est "Mr Jelly Roll", dédié à un musicien fondamental de la Nouvelle-Orléans.
Mingus est un des compositeurs qui a ramené dans les années soixante
l'improvisation collective dans la musique, composante essentielle de
la musique de la Nouvelle-Orléans. Mingus, bien qu'il soit un des compositeurs
et musiciens du style be-bop, est avant tout un chef d'orchestre, sa
musique est prétexte au jeu d'ensemble, à l'orchestration en temps réel,
aux changements de rythmes, un thème de Mingus est toujours "orchestral",
il implique une sonorité de groupe, un jeu d'ensemble, des couleurs
à développer. Cela fait un moment que je me suis remis à investiguer
sa musique, et travailler ce répertoire avec le big-band de l'ENMD est
pour moi l'opportunité d'écrire et arranger sur ce support extraordinaire,
mais aussi de chercher avec eux eux un son de groupe.
Si
tout se passe pour le mieux ( en gros, si les partenaires institutionnels
continuent à soutenir ce type d'action ), tu devrais être en "résidence
" à l'ENMD sur une période de deux ans, c'est à dire animer 6 sessions,
et participer à un concert de fin de résidence. Que comptes-tu développer
au cours de ces journées de travail.
Je pense écrire
à la fois des arrangements sur des compositions de Mingus, mais aussi
arranger certains de mes morceaux que nous jouerons avec Al Funduq.
J'ai également commencé à les initier à ma gestuelle de direction qui
me permet de "composer" dans l'instant d'autres palettes sonores.
Nous
avons par ailleurs invité ton partenaire au sein d' "Al Funduk", Carlo
Rizzo pour une masterclasse de tambourin. Peux-tu nous présenter ce
musicien?
Carlo est non seulement
LE spécialiste du tambourin, mais un grand musicien qui peut à la fois
écrire, improviser et possède une palette impressionnante de sons, de
rythmes, d'expressions. Il apporte dans notre groupe un lien à l'Italie
évident, nous jouons des tarentelles, mais aussi un rapport à cette
relation particulière que nous essayons de développer entre improvisation
et écriture. Il joue une quinzaine de tambourins tous différents, tous
avec des sons différents, il maîtrise une quantité invraisemblable de
techniques de jeu toutes différentes. Il fait sonner les tambourins
qu'il a inventés (c'est aussi un inventeur) comme une réelle batterie,
entre lui et Zoumana Dembélé, il y a une section rythmique hors du commun.
Al
Funduq se produira au Théâtre de Charleville le 16 octobre prochain,
en compagnie du duo Javier Girotto/Luciano Biondini. Peux-tu nous parler
de ce projet?
Ce sera une rencontre
intéressante, aussi parce que nous explorons des territoires musicaux
proches où la mélodie porte en elle une certaine "latinité", mais aussi
parce Javier est un des grands saxophonistes, qu'il a un magnifique
son de soprano et je me réjouis de cette rencontre musicale. Je rêve
d'un "boeuf" avec les deux orchestres. Carlo les connaît bien, on verra
!
Quelles
sont tes autres activités actuellement?
Je me produis toujours
beaucoup avec le groupe l'Ame des Poètes, qui était venu jouer à Charleville
en 2003, je prépare la sortie du premier disque de Al Funduq "Porta
del Vento" qui sortira à l'occasion du concert sur le label Igloo, je
travaille sur un projet euro-méditerranéen autour de l'héritage du "funduq",
une sorte d'auberge pour voyageurs marchands répandue dans tous l'espace
méditerranéen, ce mois-ci (mai) je vais jouer en Algérie avec ce projet,
et avec des chanteurs charretiers siciliens que l'on pourra entendre
sur le disque.
Je voyage souvent en Afrique (RDC, Tunisie, Bénin, Burkina Faso, Algérie)
pour mener des projets de formation, au Congo ils m'ont surnommé "Mwalimu",
le "maître", le prof, ... Je coordonne des stages de musique à l'Académie
Internationale d'Eté de Wallonie à Libramont pendant le mois de juillet.
Je prépare le prochain projet de la compositrice Myriam Alter (Enja)
que nous créerons cet été au Gaume Jazz Festival, au Middelheim, et
qui fera l'objet d'un disque pour Enja, avec Jacques Morelenbaum (cello,
Brésil), Salvatore Bonafede (piano, Italie), John Ruocco (clarinette,
Usa), Joey Barron (batterie, usa), Greg Cohen (contrebasse, usa) et
moi. Bref, que des bonnes choses !
Propos recueillis
par Patrice Boyer