Les concerts de jazz se suivent, mais ne se ressemblent pas, et c'est heureux.
Le mois dernier, le quartet d'Emile Parisien attaquait le concert bille en tête par une improvisation débridée, suivie par une composition alambiquée, au risque de laisser quelques auditeurs sur la touche, mais pour la grande satisfaction des autres. ( cf compte-rendu. )
Ce mois-ci, Eric Löhrer et ses compagnons démarrent le concert en douceur par "Dolce Vita", qui est également le premier morceau du cd enregistré par le quartet. Une manière d'inviter gentiment le public à entrer dans leur monde, où il fait bon vivre. Guitare feutrée, rythmique discrète, soprano mélodieux, lignes mélodiques s'entremêlant de manière subtile... Morceau suivant : "Bonne Fortune", la rythmique se fait un plus présente, guitare et saxophone se répondent avec aisance et fluidité.
Retour à un registre plus calme avec "Selene Song", superbe chanson qui a donné son titre à l'album : le genre de mélodie que l'on continue à fredonner longtemps après l'avoir entendue. Superbe chorus de contrebasse, la guitare prend un son plus électrique, créant une ambiance un peu éthérée, mais au final, la rythmique s'emballe, le soprano décolle, propulsé par les accords de la guitare. Le morceau suivant est un blues permettant encore de beaux échanges entre guitare et saxophone. Vient ensuite "Boréale" : la guitare acoustique égrène des accords, le soprano délie lentement une lente mélopée, laissant le champ ( chant?) libre à la batterie de Patrick Goraguer qui occupe l'espace de manière très mélodique. "Tétradrome", de facture plus classique, précède "Moons", une composition de Jean-Charles Richard : arpèges de soprano et guitare presque "frippienne" ( les amateurs de King Crimson comprendront ce néologisme ), précèdent l'exposé du thème qui prend alors un tour plus jazzy. Comme toujours, le saxophoniste fait preuve de lyrisme et son chorus est un modèle d'inventivité, de maîtrise du son, de concision. On comprend aisément pourquoi le grand Dave Liebman ne tarit pas d'éloges sur Jean-Charles Richard. Les maîtres du soprano ne sont pas si nombreux, et Jean-Charles Richard a tous les atouts pour intégrer le club ! ( de même qu' Emile Parisien présent le mois passé. )
Le denier morceau est une reprise de John Coltrane. La découverte de cette version d' "India" sur le cd sur m'avait ravi au plus haut point. Alors que bien souvent, les reprises de Coltrane provoquent chez moi l' irrésistible envie de réécouter la version originale, ( en l'occurence celle enregistrée live at the Village Vanguard avec Dolphy en 1961, sur l'album "Impressions"), j'avais écouté plusieurs fois de suite la version d'Eric Löhrer et l'avais contacté immédiatement pour l'inviter à Charleville-Mézières.
La version "Live at the Auditorium de l'ENMD " a confirmé l' "impression". Guitare Danelectro sonnant comme un sitar électrifié, contrebasse à l'archet évoquant le son d'un sarangi ( instrument d'aiileurs joué par Eric Surmenian sur le disque ), flûte traversière en bois créent le climat sur lequel le thème s'installe, porté par une guitare très électrique. Merveilleux échanges saxophone /guitare, laquelle dérape délicieusement dans des sons que n'aurait pas reniés Hendrix. Qu'il est agréable d'entendre un guitariste de jazz utiliser son instrument de cette manière. Qu'il est agréable d'entendre un quartet de jazz sonner de cette manière !
Le public en redemande, mais que jouer après ce déluge de sons et d'émotions ?
Ce sera en rappel "Bossa", composition d'Eric Löhrer
évoquant bien entendu le Brésil, enchaînée avec "A Little Cry For Him", composition d' Hermeto Pascoal dont le thème joué à l'unisson par le saxophone et la guitare s'accélère en une course effrénée qui conclut magistralement un bien beau concert.
Patrice Boyer