Pierre Vaiana est
en résidence à l'ENMD de Charleville-Mézières
pour une durée de deux ans. Sa mission : proposer au Big-band
de l'ENMD dirigé par Dominique Tassot un nouveau répertoire,
et faire découvrir aux élèves qui composent ce
big-band une autre manière de travailler en groupe.
A l'occasion du
concert d'Al Funduq le 16 octobre au Théâtre, nous avions
également demandé à Carlo Rizzo, sûrement
le plus grand spécialiste au monde de cet instrument, de venir
présenter le tambourin, ses différentes formes et techniques,
et d'initier les professeurs et élèves de l'ENMD à
cet instrument aux possibilités insoupçonnées.
C'est donc Carlo Rizzo qui entama ce stage en présentant les
différents tambourins qu'il utilise: du kandjira, petit tambourin
en peau d'iguane de l'Inde du Sud, au daf de 45 cm en peau de chèvre,
originaire du Maghreb et du Moyen-Orient, en passant par le riqq, de
23 cm en peau de poisson que l'on retrouve en Afrique du Nord, sans
oublier différents tambourins qui ont bercé son enfance
: le tambourello sicilien, et le Tammora napolitain.
Cet homme est un puits de culture: il connaît l'histoire du tambourin
sur le bout des doigts, façon de dire on ne peut judicieuse,
puisqu'à chaque instrument correspond une technique particulière
qu'il a étudiée et adaptée à son jeu.
Car chaque pays, voir chaque région (en Italie par exemple) a
développé un type de" jeu, codé de manière
très rigoureuse. Le génie de Carlo Rizzo, est de pouvoir
mélanger ses techniques, et de faire sortir le tambourin du rôle
auquel il est assigné dans les cultures traditionnelles. Entre
ses mains, les différents tambourins deviennent des instruments
aussi bien rythmiques que mélodiques. Et puisque les instruments
traditionnels le limitaient, il a mis au point un tambourin polytimbral
: un ingénieux système lui permet de jouer sur la tension
de la peau, d'actionner ou d'étouffer les cymbalettes, et d'appliquer
un timbre de caisse claire contre la peau pour faire des accents. Grâce
à une technique fabuleuse, Carlo Rizzo arrive à faire
sonner ce instrument un peu comme une batterie, instrument qu'il ne
remplacera jamais précise-t-il modestement : un instrument capable
de chanter des mélodies, tout en jouant les rythmes les plus
complexes.
Après cette présentation, ayant des ramifications dans
l'histoire des civilisations, voir même différentes philosophies,
Carlo Rizzo a initié les stagiaires aux techniques de base de
cet instrument. En soirée, il s'est rendu dans les locaux de
l'AME ( Animation Musique Enseignement), sympathique association gérant
à la fois une école de musique et le Festival "Tambours
de Fête", pour une conférence/démonstration
au cours de laquelle il a à nouveau présenté l'histoire
et les techniques du tambourin à travers le monde. Ce fut un
plaisir inestimable pour le public que pouvoir assister à une
telle démonstration de virtuosité, à quelques mètres
seulement d'un des plus grands percussionnistes au monde.
Pendant ce temps,
Pierre Vaiana prenait en mains le Big-Band de l'ENMD, pour une deuxième
session de travail qui s'est prolongée tard dans la soirée.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le courant passe entre le professeur
et les élèves. Tous semblent partager le même plaisir.
C'est dans une ambiance à la fois très décontractée
et très studieuse que se déroule la séance de travail.
Pierre Vaiana insiste sur l'interprétation, est très exigeant
sur la qualité du son, sur la justesse du rythme. A aucun moment
on ne sombre dans l'académisme. Les élèves ont
travaillé les partitions avec Dominique Tassot: l'essentiel du
travail concerne donc la manière de jouer de façon vivante.
Trois thèmes de Mingus sont au programme, et en fin de soirée,
ils sonnent de fort belle manière.
Après avoir initié ses élèves à sa
propre version du "sound-painting", technique permettant de
diriger une improvisation collective grâce à une série
de geste très codés, concernant aussi bien la hauteur
du son que son intensité, sa durée, son attaque, sa spatialisation
et bien d'autres paramètres, Pierre Vaiana invite Carlo Rizzo,
de retour de l'AME, à venir rejoindre le Big-Band sur scène
: les thèmes de Mingus sont enchaînés, liés
entre eux par des moments d'improvisation collective. Carlo Rizzo dialogue
avec le Big-Band dans un climat de complicité évidente:
une belle leçon de musique !
Une partie du Big-Band a accueilli les spectateurs du concert de Javier
Girotto/Luciano Biondini Duo et Al Funduq dans le hall du Théâtre
le lendemain soir, sous le regard enchanté de Pierre Vaiana,
pour notre plus grand plaisir.
Patrice Boyer